En étrange pays by Gilles Lapouge

En étrange pays by Gilles Lapouge

Auteur:Gilles Lapouge [Lapouge, Gilles]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Les étoiles de la treizième heure

Beau temps sur le cirque, mais il revient de loin ! Dans les années soixante-dix, on dirait qu’il va mourir. Les chapiteaux les plus prestigieux font faillite. Les enfants boudent les clowns. Même les belles acrobates de satin et même l’odeur enchantée du crottin les ennuient. Ces choses-là font froid dans le dos. Comment survivre sur une planète sans cirque ? On se rassure comme on peut. Après tout, le monde a connu d’autres défaites : il a perdu ses diplodocus, sa ville de Troie, ses galères, ses arquebuses, ses ramasseurs de mégots, et pourtant le soleil se lève encore. Un peu de courage ! Nous savions, grâce à Paul Valéry, que les civilisations sont mortelles. Le cirque aussi, et voilà tout.

La chance fut que le cirque n’a pas écouté ces jérémiades. Il se rebiffe. Ses chevaux font feu des quatre fers. Deux amoureux de la piste de sciure, la comédienne Silvia Monfort et Alexis Grüss, font du tintamarre. Ils disent : « Vive le cirque », et c’est comme un miracle : le sang se remet à battre dans les vieilles veines. Aujourd’hui, le cirque est guéri. Il est joufflu, rebondi, gai et prolifique. Chaque année naissent de nouveaux cirques, plus magnifiques, plus subtils que ceux de la tradition. Leurs noms sont des fêtes : le cirque Plume et le cirque de Barbarie, le cirque Amour, le Bonjour, le Grand Céleste, Archaos, le cirque Nu, et l’admirable Zingaro. Le cirque est sauvé.

Pareille aventure n’est pas exceptionnelle. Les objets sont rusés : ils font semblant de mourir pour revenir ensuite en grand apparat. Au XIXe siècle, la machine à vapeur apparaît, et tous les clippers vont à la casse, mais un siècle après, les voiliers pullulent. Dans les années cinquante, le cheval de labour déserte les campagnes et, cinquante ans plus tard, il tourne dans des milliers de manèges. En 2001, les tramways se revanchent sur le métro. Et les diligences, c’est pour quand ?

Ces va-et-vient, ces défaillances et ces résurrections scandent les temps. L’Histoire ne meurt que pour renaître. Elle est pareille à un cadran de pendule sur lequel les heures passent et recommencent : « La treizième revient, dit Gérard de Nerval, c’est encore la première. » Mais, quand elle revient, cette treizième heure, elle n’a plus tout à fait le même costume. Les catamarans d’aujourd’hui ne sont pas les trois-mâts d’hier. Et le cirque nouveau n’est pas celui de jadis.

C’est pourquoi les nostalgiques et les enfants inconsolés, dont je me demande parfois si je n’en suis pas un, font les délicats. Aussi superbes que soient les spectacles des nouveaux cirques, ils ne remplaceront jamais les funambules et les gros cuivres de nos souvenirs. On dira que leurs numéros étaient voyants, tapageurs et toujours les mêmes. C’est vrai mais, justement, nous aimions le tapage et la monotonie. Le cirque devait être aussi rituel qu’une messe. Le bonheur du spectacle, c’est que nous en connaissions tous les ressorts, tous les secrets, tous les détours.



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